Peut-on vraiment « ubériser » le travail temporaire ?

Quand le digital s’invite dans la gestion des ressources à court terme

Depuis quelques années, les plateformes ont profondément changé notre façon de consommer, de se déplacer… et même de travailler. Ce modèle gagne désormais le domaine du travail temporaire, où la technologie promet plus de réactivité, de transparence et d’autonomie dans la mise en relation entre entreprises et professionnels.

En Europe, près de 12 % des actifs occupaient un emploi temporaire en 2023*, et cette proportion atteignait plus de 700 000 personnes en France fin 2024*.
Le Canada suit une trajectoire similaire, avec plus d’un million de travailleurs sous contrat temporaire ou à durée déterminée recensés début 2025*.

Ces chiffres traduisent une réalité : le travail flexible n’est plus marginal, il s’installe durablement au cœur du marché de l’emploi.

Entre innovation et cadre social

Dans ce contexte, les plateformes de mise en relation bousculent les pratiques traditionnelles. Elles permettent aux entreprises de poster leurs besoins en ligne, de sélectionner elles-mêmes la ressource et de valider les heures travaillées avant que tout ne soit automatiquement envoyé en paie et en facturation.

Ce processus digital fluidifie la relation, réduit les coûts de gestion et accélère la réponse aux besoins. On retrouve ici certains codes de l’« ubérisation » : immédiateté, autonomie et simplicité.

Mais la différence avec le modèle des plateformes de services à la demande est essentielle : dans le travail temporaire, on reste souvent dans un cadre contractuel structuré. En France, par exemple, le modèle de l’intérim repose sur un équilibre entre flexibilité et protection, ce qui limite une ubérisation totale.

C’est un équilibre qu’Althéa, cabinet spécialisé en transformation RH, observe également dans l’accompagnement de ses clients : digitaliser oui, mais jamais au détriment du cadre social et de la sécurité juridique.

Des modèles hybrides à l’étranger

À l’étranger, notamment au Québec, certaines plateformes de placement vont plus loin. Elles combinent salariés et travailleurs autonomes, permettent aux clients de noter les prestations, et offrent un accès à des statistiques sur la performance et la fiabilité des intervenants.

Ces dispositifs créent une transparence nouvelle et une responsabilisation mutuelle, mais aussi un système où la relation de travail devient plus transactionnelle.
La frontière entre emploi, mission et prestation s’y fait plus floue.

Flexibilité, appartenance et nouveaux équilibres

Ces mutations posent une question sociale majeure : cette flexibilité profite-t-elle vraiment à tous ?

Pour certains travailleurs, ces plateformes sont synonymes de liberté : choisir ses horaires, ses missions, ou la localisation de son emploi selon ses envies et disponibilités.
Mais pour d’autres, cette flexibilité rime surtout avec instabilité. Enchaîner les missions courtes, changer sans cesse d’équipe et de culture d’entreprise peut entraîner une perte du sentiment d’appartenance.

Sur ces enjeux d’engagement et d’expérience collaborateur, Althéa rappelle souvent que les outils ne remplacent pas l’intégration, l’accompagnement au quotidien ou la qualité du management.
Le travail, longtemps porteur d’identité, devient alors une succession de prestations.

Ce phénomène reflète aussi une transformation plus large de notre société : nous vivons dans une économie de l’instant. Tout doit être rapide, modulable et disponible à la demande.
Cette recherche d’hyper-flexibilité, valorisée par les nouvelles générations, s’observe désormais dans les attentes envers l’emploi.

Mais cette quête d’autonomie peut aussi devenir une illusion, si la liberté de choix reste limitée par les besoins des entreprises ou les algorithmes des plateformes.

Vers un marché du travail plus fluide ?

Pour autant, il serait réducteur de ne voir dans ces modèles qu’une menace. En fluidifiant la rencontre entre offre et demande, ils permettent à des milliers de personnes de trouver plus vite une mission, et aux entreprises de réagir rapidement à leurs besoins dans un contexte économique mouvant.

En France, la part des transitions d’un contrat temporaire vers un contrat permanent atteignait environ 32,5 % fin 2024* — un signe encourageant : ces missions peuvent être un tremplin vers l’emploi durable, surtout lorsqu’elles se déroulent dans un cadre professionnel stable et valorisant.

Mais comme toute transformation, l’intégration de ces nouveaux outils au sein d’une entreprise ne doit pas se faire à la légère.

Les équipes d’Althéa soulignent régulièrement que la digitalisation des processus RH — notamment en recrutement, gestion des temps ou paie — nécessite un cadrage rigoureux, un accompagnement du changement et une bonne communication interne pour éviter les effets collatéraux.

Une digitalisation non accompagnée peut avoir l’effet inverse de celui recherché :

  • enjeux de santé et sécurité (un travailleur mal intégré, même temporaire, reste exposé aux risques),
  • problèmes organisationnels (perte de connaissances, manque d’informations en interne),
  • ou encore dilution du lien humain dans les équipes.

C’est pourquoi une telle démarche doit s’inscrire dans une stratégie RH planifiée, accompagnée et documentée. La technologie n’est pas une fin en soi, mais un levier au service d’une gestion plus humaine et plus intelligente des ressources.

Conclusion…

L’« ubérisation » du travail temporaire, au fond, ne signe pas la fin de l’intérim, mais sa réinvention : entre agilité économique et quête de sens, entre autonomie individuelle et cohésion collective.

Le défi — qu’Althéa accompagne au quotidien — sera de faire coexister ces deux mondes sans que l’un efface l’autre.