Congés payés et maladie : la réforme qui change tout

Depuis avril 2024, le droit du travail français vit une petite révolution : désormais, les salariés continuent d’acquérir des congés payés pendant leurs arrêts maladie, qu’ils soient d’origine professionnelle ou non. Une mesure qui aligne enfin la France sur le droit européen, mais qui bouscule en profondeur les pratiques de paie.

Un principe venu d’Europe

L’Europe était, au moins depuis 2003, clairement positionnée sur le droit au repos des salariés. D’une part, l’article 7 de la directive 2003/88/CE garantit à tout salarié quatre semaines de congés payés par an, sans condition de présence effective. D’autre part, dès 2009, la CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne), dans les affaires Schultz-Hoff et Stringer, confirme en précisant clairement que la maladie ne suspend pas ce droit.

Le grand revirement français de 2023

Pendant des années, la France a résisté à cette interprétation.

Jusqu’au jour où la Cour de cassation, dans une série d’arrêts du 13 septembre 2023, a opéré un virage majeur : elle a jugé que refuser des congés pendant un arrêt maladie d’origine non professionnelle n’était pas conforme au droit européen. Mieux encore : elle a précisé que la prescription du droit à congé ne pouvait commencer que lorsque le salarié a effectivement été en mesure d’exercer ce droit.

Une loi pour mettre la France en conformité avec le droit Européen

Pour traduire cette évolution, la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, dite loi DDADUE modifie plusieurs articles du Code du travail :

  • Article L.3141-3 : principe d’acquisition — 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif (rappel de la règle générale).
  • Article L.3141-5 : périodes assimilées au travail effectif (liste des cas d’assimilation) — depuis la réforme d’avril 2024, ce dispositif comporte un 7° qui ouvre l’acquisition de congés pour les périodes d’arrêt maladie.
  • Article L.3141-10 : période de référence pour l’acquisition des congés.
  • Article L.3141-19-1 et L.3141-24 : modalités d’indemnisation et règles de calcul.

En 2025 : l’aboutissement de cette « saga » congés payés 

Jusqu’au 09 septembre 2025, seules quelques Conventions collectives prévoyaient de « recréditer » les congés d’un salarié se voyant prescrire un arrêt pendant son temps de vacances.

Le 10 septembre, la chambre sociale de la Cour de cassation est donc là aussi, venue s’aligner au Droit Européen, en octroyant donc là aussi, la possibilité et même le droit, aux salariés de voir leurs congés reportés par un arrêt maladie.

Le report, dès lors que l’employeur a bien eu connaissance de l’existence de l’arrêt est donc à pratiquer, dans des conditions identiques.

Ce qui change concrètement pour la paie

– La loi détermine les règles d’acquisition de congés payés pendant l’arrêt maladie : 2 jours ouvrables par mois d’arrêt (et non 2,08, comme en situation d’activité), plafonné à 24 jours par an (Article L. 3141-5-1 du Code du travail)

En termes de report des congés : un salarié malade pendant ses vacances ou dans l’absolu, peut donc reporter ses jours non pris (délai de report souvent de 15 mois), ce qui est exorbitant du droit commun de la plupart des entreprises qui pratiquent une remise à zéro en fin de période de prise.

En matière de prescription : l’employeur ne peut plus opposer la prescription si le salarié n’a pas été informé de façon complète et explicite de ses droits.

Concernant le calcul de l’indemnité : doivent être inclus dans le calcul de l’indemnisation des congés payés acquis au cours des périodes de maladie, les éléments habituels de rémunération (heures supplémentaires, primes…).

Les nouveaux réflexes des gestionnaires de paie

1. Contrôles de cohérence et fiabilisation des compteurs

  • Fiabiliser les compteurs : la mise à jour législative implique de vérifier que les arrêts maladie génèrent bien, désormais des jours de congés payés au cours de la période d’absence. Il convient donc de déterminer le stock des salariés éligibles et de créditer les jours de CP acquis au cours des périodes de maladie. Cette acquisition va, de surcroît, générer un important travail de provision en lien avec les directions financières.
  • Mettre à jour le paramétrage : afin de mettre en œuvre, notamment, la définition du plafond annuel de 24 jours acquis.
  • Informer les salariés, par le biais d’une communication matérialisée et accessible aux salariés dans le mois de sa reprise.
  • Prévoir des audits internes en mettant en œuvre des contrôles (un rythme semestriel est recommandé).

2. Suivi des plafonds et paramétrage 

  • Implémenter un plafond automatique de 24 jours ouvrables par an au titre de l’acquisition sur absence maladie. Cette mise en œuvre va, naturellement, impliquer des tâches (et donc des coûts) de paramétrage, mais aussi des activités de fiabilisation du paramétrage, par une stratégie de recette, tant en matière d’UAT (User Acceptance Test) que de suivi des TNR (Tests de Non Régression) au fil du temps.
  • Paramétrer des alertes pour signaler les dépassements potentiels ou les cumuls anormaux.

3. Sécurisation juridique et documentation

  • Documenter chaque arrêt de travail (dates exactes, nature de l’arrêt, date de réception de l’avis médical, durée) et archiver la notification dans le dossier du salarié, ce qui ne peut manquer d’entraîner les entreprises vers une digitalisation toujours plus grande des activités RH (portail SSE/SSM, Core RH, GED).
  • Tenir un registre ou un export mensuel des droits recalculés à des fins de contrôle interne et d’audit RH, impliquant une capacité de requêtes des acteurs métier au sein des briques constituant le SIRH de l’entreprise.

4. Communication et traçabilité

  • Informer systématiquement le salarié de la mise à jour de ses droits en cas de maladie prolongée.
  • Établir une procédure de communication type à la reprise de l’activité (information sur les droits acquis, sur le report, et sur les délais applicables).

5. Audits internes et mise sous contrôle des risques

  • Les contrôles de cohérence entre les arrêts maladie et les compteurs de congés font désormais partie des points de vigilance clés des audits sociaux. Une absence d’intégration correcte peut générer un risque de rappel significatif (jusqu’à plusieurs années d’arriérés selon la prescription).
  • Prévoir un contrôle semestriel (voire trimestriel selon le volume) sur l’ensemble des absences pour vérifier la correcte application de la règle de 2 jours/mois et les périodes de prescription à appliquer.

Pourquoi cette réforme compte ?

Au-delà de la technique, cette réforme traduit une évolution de fond : la reconnaissance d’un droit au repos effectif, même en cas de maladie. Pour les entreprises, c’est l’heure de sécuriser leurs pratiques et d’adapter leurs logiciels de paie.

En définitive, l’évolution introduite par la loi DDADUE de 2024 marque une étape majeure dans la reconnaissance des droits des salariés en matière d’acquisition de congés payés durant les arrêts maladie non professionnels.

Cette réforme, en alignant le droit français sur les exigences européennes, renforce l’équité et la protection sociale des travailleurs. Toutefois, sa mise en œuvre soulève de nombreux défis pour les entreprises : révision des paramétrages de paie, adaptation des logiciels SIRH, mise à jour des procédures internes et gestion du passif lié aux droits rétroactifs.

Dans ce contexte, un cabinet de conseil comme Althéa joue un rôle stratégique : il peut accompagner les organisations dans la conformité réglementaire, sécuriser le traitement des données sociales, optimiser les processus RH et former vos équipes aux nouvelles pratiques. Au-delà de la simple application légale, cet accompagnement favorise une gestion plus juste, transparente et durable des congés payés, gage de performance sociale et de sérénité pour les employeurs comme pour les salariés.

Un article rédigé par Guillaume Benezit, Engagement Manager